ʺZʺ comme Lambraki !
Beaucoup, en France et ailleurs, se souviennent du film « Z » de Costa Gavras, sorti en 1969, avec une distribution brillante : Yves Montand, Irène Papas, Jean-Louis Trintignant, Charles Denner, Bernard Fresson, …
Ce film franco-algérien raconte, sans le nommer, l’assassinat du député Grigoris Lambrakis à Thessalonique en 1963.
Mais pourquoi ce titre « Z » ?
Il s’agit de la première lettre du mot « Ζει » (prononcez zi) = il vit, il est vivant. La lettre était peinte sur les murs de Grèce après la mort du député, pour signifier qu’il vivait encore et qu’il vivra toujours dans la mémoire et dans l’esprit des gens. Un acte de protestation et de militantisme.
Le film n’est autre que l'adaptation du roman du même nom de Vassilis Vassilikos, écrit à la suite de l'assassinat du député grec. Au festival de Cannes en 1969, Z reçoit le prix du jury et le prix d'interprétation masculine (pour Jean-Louis Trintignant). Le film obtient ensuite, en 1970, l'Oscar du meilleur film en langue étrangère pour le compte de l'Algérie et le Golden Globe du meilleur film étranger.
Portraits de Costa Gavras et affiches du film.
Musique du film de Mikis Théodorakis / D'après le roman de Vassilis Vassilikos
Synopsis
Dans les années 1960, dans un pays méditerranéen, dans un contexte de Guerre froide, les corps de la gendarmerie et de la police estiment qu'il est de leur devoir de s'opposer, par tous les moyens, aux mouvements considérés comme subversifs, qu'il s'agisse du communisme, de l'anarchisme ou du pacifisme.
Le nouveau et charismatique chef de l'opposition parlementaire, surnommé le Docteur (Y. Montand), quitte la capitale et arrive dans la grande ville du nord du pays pour tenir une conférence en faveur du désarmement. Avant même le début de la conférence, une contre-manifestation commence. Des heurts ont lieu entre les partisans du Docteur et les contre-manifestants, tandis que les forces de l'ordre font preuve d'une passivité évidente. Un député, membre du même parti que le Docteur, est tabassé. Lorsque le Docteur, après son allocution, traverse la place au milieu de la confusion, un triporteur surgit. Au moment du choc, le Docteur s'écroule. Il va décéder à l’hôpital de ses blessures. La préfecture publie immédiatement un communiqué officiel : il s'agirait d'un malheureux accident, causé par deux ivrognes.
Un jeune juge d'instruction (JL Trintignant) est chargé de l'enquête. Le jeune magistrat n’éprouve aucune sympathie pour la gauche politique, ni pour le communisme, ni même pour le parti du Docteur. Mais, intègre, il tient à faire toute la lumière sur l'incident. Il découvre rapidement des indices et des contradictions qui lui font conclure qu'il s'agit en fait d'un assassinat, exécuté par des membres d'une organisation d'extrême droite. Surtout, alors que, dans son entourage, tous lui demandent de s'en tenir à la thèse de l'accident, il comprend que toute l'affaire a été préméditée, montée et planifiée par les commandants de la gendarmerie de la région. Au cours de l'enquête, il s'avère que même les plus hautes autorités de l'État sont impliquées. Malgré tous les obstacles, le jeune magistrat ne renonce pas à poursuivre son enquête.
Les résultats de celle-ci obligent bientôt le pouvoir politique à reconnaître les faits. La hiérarchie militaire est accusée d'avoir organisé, puis couvert, l'assassinat. Le procès a lieu, mais le jugement se révèle très clément envers les prévenus. Surtout, les sanctions touchant les officiers supérieurs ne sont pas rendues publiques. Ce verdict déclenche une vague d'indignation générale et le gouvernement démissionne. Mais, alors que les sondages prévoient une large victoire de l'opposition aux élections, les militaires prennent le pouvoir.
Images du film. Le long-métrage est un moyen de raconter l’arrivée des colonels au pouvoir en Grèce en 1967.
Le mouvement des Jeunesses Lambrakis
Quelques jours après la mort du député, est créé un nouveau mouvement présidé par Mikis Théodorakis. En février 1964, Mikis Théodorakis est élu député du Pirée, la circonscription de Grigoris Lambrakis.
Les Jeunesses Lambrakis jouent un rôle important dans la mobilisation populaire des mois qui suivent. Mais leur grand moment est l'été 1965, après la démission de Georges Papandréou. Pendant deux mois, Athènes connaît chaque nuit une situation d'émeute. Mais la réaction de la droite se concentre contre le mouvement qui, pour échapper à la dissolution, est obligé de s'intégrer aux Jeunesses de l'EDA (Union de la gauche démocratique). Théodorakis abandonne ses fonctions sans que cela soit annoncé publiquement. En 1966, la marche de Marathon est un échec, on voit de nouveau la police traquer les groupes de manifestants.
Par ailleurs, les Jeunesses Lambrakis ont été considérées avec suspicion par les éléments les plus orthodoxes (staliniens) de l'EDA, et surtout par les dirigeants en exil du PCG (Parti communiste de Grèce). Sans doute un préliminaire à la scission du PC, début 1968, entre parti de l'intérieur et parti de l'extérieur.
Après le coup d'état du 21 avril 1967, l'EDA et tous les groupes liés sont dissous et le règlement no 13 de l'armée décrète :
- L'interdiction totale de la musique de Théodorakis ;
- L'interdiction des chants des « jeunesses communistes », c'est-à-dire des Jeunesses Lambrakis.
Mikis Théodorakis jeune et le Manifeste des Jeunesses Lambrakis (réédité par le journal "Ta Nea" après le décès du grand compositeur - Edition plus ancienne où Mikis porte la lettre Z à sa boutonnière).
L'engagement politique de Lambrakis
Grigoris Lambrakis, né en 1912, est médecin, athlète et homme politique. Il est élu député de l'EDA en 1961, dans la circonscription du Pirée.
Son mandat est marqué notamment par la marche de Marathon à Athènes le 21 avril 1963, prévue au départ comme manifestation en faveur de la paix ; mais le gouvernement l'ayant interdite, la police intervient pour l'empêcher, arrêtant entre autres Mikis Théodorakis. Lambrakis, protégé par son immunité parlementaire, l'effectue seul.
Ce même mois d'avril 1963, la reine de Grèce Frederika se trouve à Londres pour le mariage d'Alexandra de Kent. Lambrakis et d'autres Grecs profitent des libertés britanniques pour exprimer leur mécontentement. Lambrakis sollicite une entrevue pour évoquer le cas de certains prisonniers politiques grecs, mais Frederika refuse. Cet épisode provoque une certaine tension entre les gouvernements britannique et grec, le gouvernement britannique ne s'étant pas montré suffisamment ferme pour protéger (moralement) la personne royale.
Un mois après, Lambrakis est assassiné.
Photos de Grigoris Lambrakis.
Thessalonique : sculpture en hommage au député assassiné.