11 Janvier 2023

Publié par Andreas N.

Eleusis, capitale européenne de la culture 2023

La ville industrielle et ouvrière d'Eleusis (Ελευσίνα / Elèfsina), au nord-ouest d'Athènes, qui était l'un des fameux sanctuaires antiques de Grèce, s'apprête à présenter son patrimoine, riche héritage, au reste du monde grâce au label de capitale européenne de la culture 2023.

En effet, cette année, des centaines d'artistes de trente pays différents seront accueillis à Eleusis, ville portuaire. La municipalité espère ainsi en faire une destination culturelle et touristique à la hauteur de son passé historique.

A noter qu’Eleusis partage cet événement culturel avec Timisoara (Roumanie) et Veszprem (Hongrie).

Carte et logos

L'idée de désigner une capitale européenne de la culture date de 1985. A l’époque, les ministres de la Culture Melina Mercouri et Jack Lang souhaitent rapprocher les Européens en mettant en avant la richesse et la diversité des cultures de notre vieux continent.

Les Mystères d’Eleusis et le culte de la déesse Déméter :

Selon la mythologie, Hadès (dieu des enfers) enlève Korè (fille de Déméter) alors qu’elle cueille des fleurs en Sicile, pour l'épouser et la rebaptiser Perséphone. Déméter (déesse de la fertilité, des moissons et du travail de la terre), inconsolable, parcourt le monde à la recherche de sa fille : les cultures cessent alors de croître dans les champs.

Un jour, errant en Grèce sous les traits d'une vieille mendiante, Déméter arrive à Éleusis et demande l'hospitalité. Le roi du pays et ses filles l'accueillent avec générosité ; la déesse reconnaissante dévoile sa véritable identité et récompense ses bienfaiteurs en leur révélant ses mystères : les secrets de l’agriculture, donc de la civilisation. Les princes d'Éleusis, les Eumolpides, sont alors chargés de son culte. Déméter retrouve ensuite Perséphone, mais ne peut la libérer entièrement des Enfers car elle a mangé la nourriture des morts, six pépins d'une grenade offerte par son époux. Zeus décide que Perséphone passera la moitié de l'année avec sa mère, sur terre, durant la saison des cultures, et le reste de l'année, l’hiver, aux côtés d'Hadès, aux Enfers. Ainsi sont créées les saisons.

Déméter et le sanctuaire (Propylées)

Déméter, marbre pentélique.

Dès le VIII^ème siècle avant JC, en souvenir de cette légende, on célèbre à Eleusis les Mystères selon un déroulement rituel très réglementé.

Les manifestations durent neuf jours au total, en référence à la durée de l’errance de Déméter lorsqu’elle recherchait sa fille. Elles comprennent : rites de purification, offrandes aux dieux, processions, danses, prières, rites secrets, jeux gymniques, représentations de drames …

A partir de l’époque de Solon (640 – 558 avant JC), la procession part d’Éleusis et aboutit au temple appelé Ἐλευσίνιον (Éleusinion), situé dans la cité d’Athènes.

Eleusis bénéficie ainsi de grands privilèges : le titre de πόλις (polis, cité) et le droit de battre monnaie. Elle fait partie des cinq cités sacrées de Grèce avec Athènes, Delphes, Olympie et Délos.

Par la suite, la ville partage le destin du reste du monde grec. Les Empereurs Marc-Aurèle et Hadrien contribuent à rétablir la prospérité de la cité (reconstruction du Télestèrion, construction d’un aqueduc et d’un pont facilitant la procession sacrée). Puis, la cité est envahie par les Barbares et son déclin est accéléré avec l’interdiction progressive du paganisme.

Définitivement détruit par Alaric et les Wisigoths en 396 après JC, le sanctuaire est déserté par sa population.

L’architecture de la cité antique :

De grands terrassements supportent les édifices sacrés regroupés autour du temple de Déméter.

On pénètre à l’Est par la ἱερά ὀδός (iera odos), Voie Sacrée qui relie le cimetière du Céramique d’Athènes à la cité d’Éleusis.

Les προπύλαια Propylées, accès au sanctuaire, ont été construits au VI^ème siècle avant J.-C. sur le modèle des Propylées de l’Acropole d’Athènes.

Les μεγάλα προπύλαια, Grands Propylées sont construits sur un podium de six marches ; ils possèdent une façade de six colonnes doriques.

A côté des Grands Propylées, on trouve le Καλλίχορον φρέαρ (kallichoron phrear), le puits Kallichoron où les femmes d'Éleusis chantent et dansent pour Déméter en souvenir de la disparition de sa fille. Un peu plus loin, on accède au cœur du sanctuaire par les μικρά προπύλαια (mikra propulaia), Petits Propylées.

Là se trouve le τελεστήριον, Télestérion, immense salle d'initiation, où se réunit l’assemblée des initiés. Après avoir été détruit par les Perses, le plan du nouveau bâtiment est conçu par Iktinos, l'architecte du Parthénon.

Le site archéologique

Les Mystères sont un culte où le bonheur personnel est promis à tout être humain qui a pu assister aux rites secrets.

Pour être initié, seules deux conditions sont nécessaires : parler grec et avoir les mains pures, c’est-à-dire non souillées par le sang d’un crime. Les candidats font cependant vœu de silence.

Il s’agit alors d’accéder à un bonheur privé, domestique, fait de prospérité matérielle et de santé, qui se poursuivra après la mort et intégrera l’initié dans une communauté mystique.

En prônant ce bonheur individuel, l’objectif est aussi d’unir le peuple d’Attique et de réaliser l’εὐνομία (eunomia), la bonne observation des lois. Au moment où Éleusis passe sous domination athénienne, on constate peu à peu une transposition du bonheur individuel en un bonheur politique.

Bien qu’officiellement interdits, les cultes à Mystères, comme celui d’Éleusis, étaient tolérés car ils étaient utiles à la communauté et servaient d’exutoire au peuple.

Femmes d'Eleusis (Jean Delville)

Aujourd’hui, la ville d’Eleusis est devenue un centre urbain industriel.

Selon les organisateurs de l’année culturelle 2023, des concerts, des spectacles de danse et de rue, des films, des expositions illustreront la transformation de la ville au fil des siècles.

Après un long déclin pendant l'époque byzantine et l’occupation ottomane, la ville devient au XIX^ème siècle un pôle industriel comprenant savonneries, raffineries, cimenteries, usines de résine et de céramique. La plus grande usine d'acier du pays, l'une des principales raffineries et un chantier naval sont toujours en activité.

Depuis les années 1930, la pollution, surtout atmosphérique, est un casse-tête. La baie locale s'est transformée en un cimetière de navires, sans compter le pétrole et les produits chimiques déversés dans l'air et dans l'eau.

La ville a accueilli un nombre important de réfugiés après la catastrophe l'Asie mineure (1922). Plus récemment, un camp a été construit pour répondre aux besoins de migrants. Il a accueilli ces derniers mois des Ukrainiens fuyant la guerre.

Si la colline de l'Acropole bat des records de fréquentation, le site archéologique d'Eleusis, à 30 km seulement d'Athènes, apparaît, pour l'instant, quelque peu délaissé par les touristes.

La ville, lieu de naissance du dramaturge grec Eschyle.

Nouveau musée

Plusieurs bâtiments délabrés d'Eleusis, victimes de la désindustrialisation et de la crise financière récente, ont été réaménagés : une ancienne huilerie abrite le nouveau musée archéologique et un ancien centre de bowling s'est transformé en salle de conférence.

La municipalité d'Eleusis dispose désormais d'une «infrastructure qu'elle n'avait jamais eue auparavant (...) en mettant en valeur son long héritage», se félicite le maire Argiris Economou.