Lorsque ʺHellèneʺ voulait dire païen … Julien l’apostat.
L’empereur romain Flavius Claudius Julianus dit Julien l’apostat est né en 331 de notre ère à Constantinople. Il décède au combat le 26 juin 363 à Samarra, dans l’Empire sassanide (ou Empire des Iraniens).
Fils de Jules Constance et de Basilina, morte peu après l’avoir mis au monde, il est par son père le neveu de l’empereur Constantin (272-337). La tradition chrétienne l’appelle « l’apostat » car il prônait le retour au paganisme alors que le christianisme s’était imposé dans l’empire romain.
À la mort de Constantin, ses trois fils, afin d’éliminer les prétendants à la succession, font massacrer tous les membres de la famille de Julien, à l'exception de Julien lui-même et de son frère Gallus, en raison peut-être de leur jeune âge. Julien a seulement six ans et cette tuerie, qui a lieu sous ses yeux, le marquera à vie. Des années d’exil vont suivre.
Constantin Ier (oncle de Julien) - Musées Capitolins. Avec lui, le christianisme est devenu progressivement religion d'Etat.
Envoyé d’abord à Nicomédie (actuelle Izmit, Turquie) chez sa grand-mère, loin de la cour de Constantinople, des précepteurs éveillent en Julien le goût de la culture et des lettres grecques. Confié à l'évêque Eusèbe de Nicomédie (?-341), il reçoit par ailleurs une éducation chrétienne et le baptême, peut-être sous la contrainte. Mais la littérature grecque païenne le marque beaucoup plus que la religion du Christ. Il est notamment en contact avec le rhéteur et écrivain Libanios (314-393). Son pédagogue (précepteur) est l'eunuque Mardonios, Goth d'origine. Mardonios l'initie aux grands classiques de la culture grecque (Homère, Hésiode …) et lui donne la passion de la lecture. Julien lui restera très attaché.
Il passe les étés dans le domaine d’Astakia, non loin de Chalcédoine, lieu qui l’enchante. Il est ensuite envoyé dans le domaine impérial de Macellum, près de Césarée en Cappadoce, où il retrouve son frère Gallus.
La chronologie n’est pas très précise, mais vers 347, l'empereur Constance II (317-361), un des fils de Constantin, en difficulté côté perse et côté gaulois, rappelle Julien de son exil. A Constantinople, bénéficiant d’une liberté relative, Julien fréquente les maîtres et les philosophes les plus célèbres. Discrètement initié aux mystères païens par le néo-platonicien Maxime d'Ephèse (310-372), c'est en 351 qu'il se convertit secrètement au paganisme. En 355, à son grand bonheur, il est autorisé à séjourner dans la cité d’Athènes. Il débarque au Pirée en plein été. A Athènes, il est chez lui ; la Grèce est sa vraie patrie. Pendant son séjour, il aurait été initié aux mystères d'Eleusis.
Constance II, monnaie majorina d'Alexandrie. Un des fils de Constantin, assassins des parents de Julien.
L’impératrice Eusébia, épouse de Constantin II (née à Thessalonique ; décède en 360). Elle protège Julien et plaide sa cause auprès de son mari.
Constance II l'appelle alors à Milan, sa résidence temporaire. Julien craint le pire. Il quitte son manteau de philosophe et, désormais rasé et vêtu du manteau militaire, il épouse la plus jeune sœur de l'empereur, Hélène, dite ʺla jeuneʺ. Le 6 novembre 355, Constance II le présente à l'armée, lui octroie le titre de César, puis l'envoie en Gaule où des généraux menacent l’empereur d’usurpation. Julien César est à peine âgé de 23 ans ; il accepte son sort comme une décision des dieux puisqu’il s’estime protégé par la déesse Athéna.
« Je ne dois pas omettre de raconter ici comment j'ai consenti et choisi de vivre sous le même toit que ceux dont je savais qu'ils avaient miné toute ma famille, et dont je soupçonnais qu'il ne leur faudrait pas beaucoup de temps avant de comploter contre moi. J'ai versé des torrents de larmes, j'ai poussé des gémissements. J'ai tendu les mains vers votre Acropole, quand je reçus l'appel, et j'ai prié Athéna de sauver son suppliant, de ne pas l'abandonner. Beaucoup d'entre vous m'ont vu et en sont témoins. La déesse même, plus que quiconque, sait que je lui ai demandé de me faire mourir à Athènes plutôt que de me laisser faire ce voyage. Or, la déesse n'a pas trahi ni abandonné son suppliant ; elle l'a montré par des faits. Car partout elle m'a guidé, et de tous côtés elle m'a entouré d'anges gardiens que le Soleil et la Lune lui avaient accordés »
— Lettre aux Athéniens, 274d-275b, 276c-277a
Chargé de mener une contre-offensive de l'armée impériale contre les Alamans, Julien reçoit le titre de consul, en plus du statut de César. A noter qu’en 351, l’empereur avait promu le frère de Julien, Gallus, au rang de César à Antioche, avant de le faire exécuter (354) …
De façon inattendue, cet intellectuel pétri d'hellénisme et peu sûr de lui, se révèle un bon administrateur et un fin stratège. Julien se veut vertueux ; il récuse le faste impérial et se montre un travailleur acharné. Il acquiert rapidement l'usage courant du latin, alors que sa langue maternelle est le grec, et se forme aux pratiques militaires, se nourrissant comme les soldats et dormant à la dure.
Lors de la campagne d'Autun et de Cologne, en 356, Julien repousse les Alamans. En 357, il les repousse à nouveau à la bataille d’Argentoratum (Strasbourg).
Basé à Lutèce à partir de 357, Julien apprécie la cité et y passe quelques hivers. Il manque toutefois d'y périr en subissant un début d'asphyxie par un brasero. Son épouse Hélène, après avoir mis au monde un enfant qui ne survivra pas, préfère séjourner en Italie où elle décède en 358. Julien ne se remariera pas.
Durant la pause hivernale, l'activité de Julien ne faiblit pas. Il passe tout l’été dans les camps, et tout l’hiver il siège comme juge. Il traite alors des affaires graves mais ne prête pas attention à la délation. Durant un jugement portant sur une accusation de dilapidation des fonds publics formulée contre l'ancien gouverneur de la Gaule narbonnaise, l'accusateur, à court de preuves, finit par s'écrier : « S'il suffit de nier, où seront désormais les coupables ? », à quoi Julien rétorque : « S'il suffit d'accuser, où seront les innocents ? ».
En 360, l'empereur, se méfiant du prestige acquis par son César, demande à Julien de lui envoyer deux légions en renfort. Cette demande provoque une mutinerie des soldats de Julien qui le proclament empereur ! Constance II conduit alors des troupes en Gaule mais meurt en route. Sur son lit de mort, il confie la pourpre impériale à Julien, seul descendant de Constantin Ier.
Proclamé empereur romain à part entière de 361 à 363, Julien charge Maxime d’Ephèse de restaurer le paganisme antique. Il n’a plus besoin de se cacher et promulgue un édit autorisant toutes les religions. Cet édit abolit les mesures prises contre les cultes polythéistes et contre les Juifs.
Il interdit cependant aux chrétiens d'enseigner car pour Julien, les chrétiens sont des hommes incultes et dépourvus de raison qui s'interdisent à eux-mêmes de comprendre les textes dont l'explication est la base de toute la culture antique.
Il favorise les cités encore polythéistes et encourage la restauration des temples.
Julien produit des écrits critiques qui sont de précieux témoignages de l'opposition païenne au christianisme. Il ne prend pas pour autant de véritables mesures de persécution. Il s'attaque aux chrétiens principalement par le biais de pamphlets et de réfutations. Ses œuvres sont très commentées mais plus souvent critiquées que louées.
L'Empire romain d’Orient évolue alors vers ce qui deviendra l'Empire byzantin, un empire chrétien. Julien, durant son règne de vingt mois (361-363), tente d'inverser cette tendance ; il veut abandonner le despotisme et la solennité pour revenir à la simplicité des empereurs du Haut-Empire. Il souhaite interrompre la christianisation de l'Empire, œuvre de son oncle Constantin et de ses fils.
Son livre Contre les Galiléens, fragmentaire, est un réquisitoire contre les chrétiens. Bien qu'élevé dans cette religion, il ne parle pas de « chrétiens », ni de « christianisme », mais les appelle « galiléens », et les considère comme tenants d'une religion nouvelle et sans racines.
Contre les Galiléens : jugée « démoniaque » à des époques ultérieures, l’œuvre a été détruite. On en connaît heureusement une bonne partie grâce au Contre Julien rédigé par Cyrille d'Alexandrie au Vème siècle.
Après avoir réorganisé et assaini la lourde administration impériale, il s'installe à Antioche pour préparer une grande expédition militaire contre la Perse.
Au printemps 363, Julien lance l'offensive contre les Sassanides et atteint leur capitale, Ctésiphon (près de l'actuelle Bagdad). Il livre bataille le 29 mai devant la ville et remporte la victoire. Mais, abandonné par le roi d'Arménie qui devait le rejoindre, il est contraint de battre en retraite.
Puis Julien est mortellement blessé lors de la bataille de Samarra (à 125 km au nord de Bagdad). Il meurt dans la nuit du 26 juin 363.
Enterré d’abord à Tarse, son corps sera exhumé et transporté à Constantinople où Constantin et le reste de sa famille reposent.
Julien reste un des principaux auteurs grecs du IVème siècle. Adepte de la philosophie néoplatonicienne, il n'a pas écrit d'ouvrage proprement philosophique. On peut distinguer parmi ses œuvres :
- un ouvrage critique contre le christianisme Contre les Galiléens ;
- des lettres à des amis ou à des personnages de son temps ;
- des écrits satiriques ou polémiques : Les Césars, Misopogon, Contre Héracleios, Contre les cyniques ignorants ;
- des écrits philosophico-religieux : Sur la Mère des dieux, Sur Hélios-Roi ;
- des écrits politiques ou philosophico-politiques : Lettre à Thémistios, Lettre aux Athéniens ;
- des écrits rhétoriques : éloges de Constance (l'empereur, son cousin), d'Eusébie (impératrice, épouse de Constance).
Dans sa lettre au philosophe Thémistios, il écrit :
« Que personne ne me vienne diviser la philosophie en plusieurs parties, ou la découper en plusieurs morceaux, ou plutôt en créer plusieurs à partir d'une seule ! La vérité est une, et semblablement la philosophie est une, il n'y a pas lieu de s'étonner, cependant, si nous suivons tous d'autres chemins pour l'atteindre. Imaginons un étranger ou, par Zeus, un citoyen de jadis désirant retourner à Athènes. Il pouvait y aller en bateau ou à pied. S'il voyageait par terre, il pouvait se servir, à mon avis, des larges voies publiques, des sentiers ou des raccourcis. En naviguant, il pouvait longer les côtes, ou encore faire comme le vieillard de Pylos et traverser la haute mer. Qu'on ne vienne pas m'objecter que certains de ces voyageurs se sont égarés et qu'arrivés quelque part ailleurs, appâtés par Circé ou par les Lotophages, c'est-à-dire par le plaisir, par l'opinion ou par autre chose, ils ont négligé de poursuivre leur route et d'atteindre leur but. Qu'on examine plutôt les protagonistes de chaque secte, et on découvrira que tout s'accorde »
— Discours, VI, 184c-185a
Prêtre de Sérapis, statue longtemps considérée comme celle de Julien, réalisée en Italie entre 361 et 400, collection du musée de Cluny (Paris).
A la Renaissance, le personnage de Julien a fasciné positivement certains humanistes comme Étienne de La Boétie ou Montaigne.
Au XVIIIème siècle, les philosophes des Lumières, notamment Voltaire, veulent le réhabiliter en tant que champion de la culture classique contre l'obscurantisme chrétien et champion de la liberté contre l'absolutisme du Bas-Empire romain.
Au XIXème siècle, les romantiques comme Alfred de Vigny se sont passionnés à leur tour pour ce personnage.
En 1873, Henrik Ibsen écrit sur Julien une tragédie en dix actes, Empereur et Galiléen.
Edward Armitage : Julien l'Apostat présidant à une conférence des sectaires, 1875. Maxime d’Ephèse, certainement représenté à droite de Julien, est un élève de Jamblique (250-330) à qui Julien vouait une admiration sans bornes. Plus tard, « Maxime fut saisi et emmené à Antioche où l'Empereur Valens résidait. » Festus l'égorgea durant l'hiver 371-372, à Éphèse …
L'historien païen Ammien Marcellin (330-395), qui fait partie de la dernière expédition de l'empereur, rapporte l’ultime combat de Julien :
« Au moment où Julien, oublieux de toute précaution, se précipitait témérairement au combat en levant les bras, et à grands cris, pour bien faire entendre que c'était la débâcle et la panique chez l'ennemi, et pour exciter ainsi la fureur des poursuivants, ses gardes blancs dispersés par l'effroi lui criaient de tous côtés d'éviter la masse des fuyards comme on fait pour l'écroulement incertain d'un toit qui menace ruine ; mais soudain, une lance de cavalerie (equestris hasta) égratigna la peau de son bras, lui transperça les côtes, et se ficha dans le lobe inférieur du foie. »
— Ammien Marcellin, XXV, 3, 6
L'historien Eutrope (IVème siècle) qui participe à l'expédition contre les Perses en mars 363, dit de Julien dans son Abrégé de l'histoire romaine (traduction de N.-A. Dubois, 1865) :
« Il fut un grand prince, et eût parfaitement bien gouverné l’État, si les destins lui eussent prolongé ses jours. Il était très savant, surtout dans la langue grecque qu'il possédait incomparablement mieux que la langue latine. […] ; grand persécuteur des Chrétiens, il ne répandait pas néanmoins leur sang, à l'exemple de Marc-Antonin, qu’il s’efforçait de copier en tout »
— Eutrope, Abrégé de l'histoire romaine, livre X, XIV.
Le théologien Grégoire de Nazianze (329-390) donne un portrait peu flatteur de l'étudiant Julien : « … épaules remuantes et tressautantes … regard exalté… pieds qui ne tenaient pas en place, parole hachée par la respiration dont le débit s'arrêtait brusquement, questions incohérentes et inintelligibles … ».
Plus neutre, Ammien Marcellin évoque son « naturel impulsif » et sa tendance « à parler fort abondamment et se taire très rarement ».
Eglise des Saints-Apôtres, érigée par Constantin qui, à l'origine, la destinait à devenir son mausolée. Elle fut consacrée aux Apôtres après l'arrivée (en 356 ou 357) des reliques des saints André, Timothée et Luc. Miniature extraite d'un manuscrit grec (XIIème siècle).
Julien a été enterré à l’église des Saints-Apôtres, (Ἅγιοι Ἀπόστολοι, Agioi Apostoloi), église byzantine de Constantinople aujourd'hui disparue. Elle était la deuxième église de la capitale impériale en taille et en importance après la basilique Sainte-Sophie ; elle fut aussi la principale nécropole des empereurs et impératrices byzantins. Après la chute de Constantinople en 1453, elle devint brièvement le siège du patriarche de Constantinople qui la quitta en 1456. En 1461, l'édifice alors en très mauvais état fut démoli par les Ottomans pour édifier la mosquée Fatih.
La Basilique Saint-Marc de Venise, architecturalement, est l’église ressemblant le plus à ce que devait être celle des Saints-Apôtres.
Voir aussi l’article de ce blog :
L’Εdit de Thessalonique ou la chasse aux hérétiques - Ma grécité
Sources
Julien dit l’Apostat, Lucien Jerphagon, Editions Tallandier, Paris 2020
Église des Saints-Apôtres de Constantinople — Wikipédia
Biographie de JULIEN L'APOSTAT - Encyclopædia Universalis
Julien (empereur romain) — Wikipédia
Mardonius (philosopher) - Wikipedia
Photo en tête d'article : Pièce en bronze de Julien (360-363).