Giocondo MORETTI, musique à Gythio !

Né en 1867 dans la petite ville italienne de Pozzuolo, près de Pérouse (Ombrie), Giocondo Moretti fera une carrière de chef d'orchestre dans le port grec de Gythio (Lakonie, Péloponnèse).

De parents nobles, il reçoit une haute éducation, notamment en musique. Comment donc ce musicien est passé de l’Italie à une Grèce fort provinciale ? Diverses versions circulent sur les raisons de son installation à Gythio, certes « Terre des Dieux » ... (voir mon article : Hélène et Pâris sur la terre des Dieux - Ma grécité (over-blog.com)).

Certains prétendent qu'il est venu en Grèce, invité par le gouvernement grec, pour s'investir musicalement dans l'Olympiade de 1896, premiers jeux olympiques modernes ;
D’autres disent qu'il est venu en 1895 pour prendre la direction de la fanfare de la communauté italienne de Patras, principale ville du Péloponnèse, pour finalement se retrouver à Gythio, petit port bien plus au sud, suite à l’appel de l’Association commerciale locale ;
Selon une autre version, la cause principale de cet exil à Gythio serait un drame d'amour. Sa fiancée serait morte dans ses bras ...

Pozzuolo, en Italie.

Gythio, à l'époque.

Giocondo est certainement un homme d’éthique et d'audace. Il est facile d’imaginer qu’il doit affronter les suspicions de la société conservatrice et fermée de cette petite ville, dont les habitants n'avaient pas grand-chose à voir avec la musique. Seules quelques familles aisées peuvent être intéressées, mais, étonnamment, Giocondo Moretti a su créer et prendre en charge tout un groupe musical à Gythio !

Giocondo Moretti. Détail de la photo en tête d'article, prise au théâtre antique de Gythio.

Il s’installe définitivement à Gythio en 1897, à l’âge de 30 ans. Avec lui, Giocondo apporte un piano à queue et une trentaine d’autres instruments de musique.

Il épouse Dimitra Vouzounara (née Kokkinaki) avec qui il a une fille, Gélina, qui bien entendu grandit en apprenant à jouer du piano. Il installe un conservatoire au premier étage de leur maison, en face de l’église Saint-Georges, et crée ainsi le premier ensemble musical de Gythio.

Eglise Saint Georges, Gythio.

Dès 1900, Giocondo Moretti avait réussi à rassembler des élèves, musiciens en herbe ; parmi eux des cordonniers, des bateliers et des artisans … et, au fil du temps, la fanfare de Gythio a obtenu un grand succès dans la région.

1927, la fanfare de Krookes, village près de Gythio.

Ainsi, en ce début de XX^ème siècle, toutes les maisons de Gythio avaient au moins une personne impliquée dans la musique et jouant d’un instrument comme la mandoline, la flûte, le violon, la guitare et le piano.

Après 1920, le groupe musical de Giocondo Moretti s’étoffe ; un orchestre de mandolines est constitué. L’été, tous les dimanches à minuit, Giocondo décide de se produire avec sa formation sur la place centrale de Gythio. Cet événement musical est devenu la célèbre « Mezzanotte », « minuit » en italien, et a rempli les ruelles pittoresques de Gythio de visages souriants.

En 1925 est fondée l'Association des progressistes de Krokees, petit village non loin de Gythio. Une fanfare philharmonique est créée et Giocondo en assure la direction de 1926 à 1930, parallèllement à la fanfare de Gythio. Il va de Gythio à Krokees (20 km) avec son vélo, trois fois par semaine.

Le village de Krokees.

Les instruments favoris de Giocondo étaient le hautbois et la clarinette. Il en jouait en répétition, jamais en public. Vêtu de son uniforme, Giocondo est toujours resté fidèle aux habitants de Gythio, alors qu’il aurait pu envisager une carrière plus ambitieuse.

A gauche, Giocondo Moretti.

En août 1940, une grande soirée est donnée à Gythio pour les 40 ans de contribution de Giocondo Moretti, alors âgé de 73 ans.

Mais cette vie romanesque aura un dénouement dramatique. Avec le déclenchement de la guerre gréco-italienne, Giocondo est transféré dans un camp à Athènes puis il aurait été expulsé vers l’Italie. Quoi qu’il en soit, à l’été 1941, il se retrouve en Grèce, à Sparte, où vivent sa fille et son gendre, Antonis Zervobeakos. Giocondo se rend alors au cimetière de Sparte et se suicide en se coupant les veines, probablement pour ne pas vivre les atrocités de l’occupation fasciste puis nazie, ou en être témoin ...

Le cimetière de Sparte.

Le grand poète Yannis Ritsos parle de Giocondo dans son œuvre car il a appris et a aimé la musique avec lui.

Le metteur en scène Nikos Koundouros voulait faire un film de sa vie ; l’écrivaine Lili Zografou souhaitait que ce soit un roman. Mais ni un projet ni l’autre n’a vu le jour.

A Athènes, en 2020, un événement spécial est consacré à Gythio et à la vie musicale qui s’y est développée, principalement pendant l’entre-deux-guerres. Un vibrant hommage est alors rendu à Giocondo Moretti.